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article d’Arnaud Brayard publié dans Geology

Etiquette(s) : articles et presse

 

Des géants parmi les nains après la plus grande crise d’extinction de tous les temps

Une étude menée par Arnaud Brayard en collaboration avec des collègues allemands, américains et suisses a permis la découverte de gastéropodes (1) de grande taille (jusqu’à 7 cm) datant seulement de 1 Ma après la crise d’extinction permo-triassique (2). Ces spécimens font figure de « géants » en comparaison des fossiles communément retrouvés, généralement de taille inférieure à 1 cm. Ils remettent ainsi profondément en question la conception que les paléontologues ont de la dynamique évolutive et du fonctionnement de la biosphère après une crise d’extinction de masse. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Geology (février 2010).

 

Brayard A., Nützel A., Stephen D.A., Bylund K.G., Jenks J. and Bucher H. 2010. Gastropod evidence against the Early Triassic Lilliput effect. Geology, 38 (2): 147-150

gasteropodes

L’histoire de la vie sur Terre est ponctuée de nombreuses crises d’extinctions, brèves périodes de forte diminution de la biodiversité, suivies de phases de reconquêtes de la biosphère, correspondant à la diversification des espèces qui ont survécu. Au cours des 540 derniers millions d’années, une vingtaine de crises plus ou moins intenses se sont ainsi succédées. La plus dévastatrice d’entre elles s’est déroulée il y a 252,6 millions d’années avec une violence encore aujourd’hui inégalée. Il s’agit de la crise permo-triassique qui décima plus de 90 % des espèces marines alors existantes. Le traumatisme fut si fort et les écosystèmes si profondément affectés que certains organismes marins tels que les gastéropodes ou les bivalves ont été atteints par une réduction drastique de leur taille pendant et après la crise, durant la totalité du Trias inférieur. C’est ce que les scientifiques appellent l’ «effet Lilliput » en référence au fabuleux voyage de Gulliver (3) qui s’échoua sur l’île de Lilliput où tous les individus étaient de petite taille (les Lilliputiens). Ce phénomène de diminution de taille est le plus souvent relié à des conditions environnementales sévèrement perturbées (par exemple baisse de l’oxygénation des océans, empoisonnement des eaux, compétition accrue, effondrement des chaînes alimentaires, etc.) Il faut ainsi attendre plusieurs millions d’années pour que ces organismes retrouvent des tailles comparables à celles d’avant la crise. C’est du moins ce qui était généralement accepté jusqu’à aujourd’hui.

Une équipe internationale constituée de paléontologues français, allemands, américains et suisses se consacre depuis plusieurs années à l’étude de la reconquête qui suit l’extinction de masse permo-triasique. En concentrant leurs efforts sur des affleurements de l’Utah datés du début du Trias inférieur mais encore non-étudiés en détail, ces chercheurs ont mis à jour des spécimens de gastéropodes exceptionnels, que l’on peut qualifier de « géants » (jusqu’à 7 cm) en comparaison de ceux généralement retrouvés possédant une taille inférieure à 1 cm. L’étude complémentaire des fréquences de taille de ces nouvelles faunes de gastéropodes indiquent aussi qu’elles ne sont pas plus petites que des faunes plus âgées, plus jeunes ou que les faunes actuelles. Cette découverte réfute donc l’existence d’un effet Lilliput chez les gastéropodes pendant la majeure partie du Trias inférieur, ou du moins indique que son importance a été surestimée. De façon surprenante, la présence de ces gastéropodes de grande taille coïncide aussi avec une reconquête explosive du domaine océanique par certains organismes comme les ammonoïdes (4, 5). Ces différents événements suggèrent ainsi que la restructuration des écosystèmes marins était déjà bien engagée seulement un million d’années après la crise, ce qui est extrêmement rapide après une crise d’une telle ampleur.

 

Notes :

(1) Les gastéropodes concernés par cette étude sont des mollusques vivants sur les fonds marins apparentés par exemple aux escargots terrestres actuels.

(2) La crise permo-triassique, du nom des deux périodes géologiques qui l’encadrent, le Permien (299 – 252,6 Ma) et le Trias (252,6 – 201,6 Ma), est la plus grande extinction de masse jamais documentée. Elle marque la fin de l’ère Primaire, ou Paléozoïque, et le début de l’ère Secondaire, ou Mésozoïque.

(3) Les Voyages de Gulliver, écrit par J. Swift au 18e siècle

(4) Les ammonoïdes sont des mollusques céphalopodes nageurs apparentés aux nautiles, seiches et calmars actuels. Munies d’une coquille externe, elles disparaissent des océans du globe en même temps que les dinosaures, il y a 65 millions d’années, après avoir été un élément majeur des faunes marines durant près de 400 millions d’années.

(5) Voir en complément Brayard et al. 2009. Science 235 : 1118-1121.

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Des géants parmi les nains après la plus grande crise d'extinction de tous les temps

Une étude menée par Arnaud Brayard en collaboration avec des collègues allemands, américains et suisses a permis la découverte de gastéropodes (1) de grande taille (jusqu’à 7 cm) datant seulement de 1 Ma après la crise d’extinction permo-triassique (2). Ces spécimens font figure de « géants » en comparaison des fossiles communément retrouvés, généralement de taille inférieure à 1 cm. Ils remettent ainsi profondément en question la conception que les paléontologues ont de la dynamique évolutive et du fonctionnement de la biosphère après une crise d’extinction de masse. Ces résultats viennent d'être publiés dans la revue Geology (février 2010).

 

Brayard A., Nützel A., Stephen D.A., Bylund K.G., Jenks J. and Bucher H. 2010. Gastropod evidence against the Early Triassic Lilliput effect. Geology, 38 (2): 147-150

gasteropodes

L’histoire de la vie sur Terre est ponctuée de nombreuses crises d’extinctions, brèves périodes de forte diminution de la biodiversité, suivies de phases de reconquêtes de la biosphère, correspondant à la diversification des espèces qui ont survécu. Au cours des 540 derniers millions d’années, une vingtaine de crises plus ou moins intenses se sont ainsi succédées. La plus dévastatrice d'entre elles s’est déroulée il y a 252,6 millions d’années avec une violence encore aujourd’hui inégalée. Il s’agit de la crise permo-triassique qui décima plus de 90 % des espèces marines alors existantes. Le traumatisme fut si fort et les écosystèmes si profondément affectés que certains organismes marins tels que les gastéropodes ou les bivalves ont été atteints par une réduction drastique de leur taille pendant et après la crise, durant la totalité du Trias inférieur. C’est ce que les scientifiques appellent l’ «effet Lilliput » en référence au fabuleux voyage de Gulliver (3) qui s’échoua sur l’île de Lilliput où tous les individus étaient de petite taille (les Lilliputiens). Ce phénomène de diminution de taille est le plus souvent relié à des conditions environnementales sévèrement perturbées (par exemple baisse de l’oxygénation des océans, empoisonnement des eaux, compétition accrue, effondrement des chaînes alimentaires, etc.) Il faut ainsi attendre plusieurs millions d’années pour que ces organismes retrouvent des tailles comparables à celles d’avant la crise. C’est du moins ce qui était généralement accepté jusqu’à aujourd’hui.

Une équipe internationale constituée de paléontologues français, allemands, américains et suisses se consacre depuis plusieurs années à l’étude de la reconquête qui suit l’extinction de masse permo-triasique. En concentrant leurs efforts sur des affleurements de l’Utah datés du début du Trias inférieur mais encore non-étudiés en détail, ces chercheurs ont mis à jour des spécimens de gastéropodes exceptionnels, que l’on peut qualifier de « géants » (jusqu’à 7 cm) en comparaison de ceux généralement retrouvés possédant une taille inférieure à 1 cm. L’étude complémentaire des fréquences de taille de ces nouvelles faunes de gastéropodes indiquent aussi qu’elles ne sont pas plus petites que des faunes plus âgées, plus jeunes ou que les faunes actuelles. Cette découverte réfute donc l’existence d’un effet Lilliput chez les gastéropodes pendant la majeure partie du Trias inférieur, ou du moins indique que son importance a été surestimée. De façon surprenante, la présence de ces gastéropodes de grande taille coïncide aussi avec une reconquête explosive du domaine océanique par certains organismes comme les ammonoïdes (4, 5). Ces différents événements suggèrent ainsi que la restructuration des écosystèmes marins était déjà bien engagée seulement un million d’années après la crise, ce qui est extrêmement rapide après une crise d’une telle ampleur.

 

Notes :

(1) Les gastéropodes concernés par cette étude sont des mollusques vivants sur les fonds marins apparentés par exemple aux escargots terrestres actuels.

(2) La crise permo-triassique, du nom des deux périodes géologiques qui l’encadrent, le Permien (299 – 252,6 Ma) et le Trias (252,6 – 201,6 Ma), est la plus grande extinction de masse jamais documentée. Elle marque la fin de l’ère Primaire, ou Paléozoïque, et le début de l’ère Secondaire, ou Mésozoïque.

(3) Les Voyages de Gulliver, écrit par J. Swift au 18e siècle

(4) Les ammonoïdes sont des mollusques céphalopodes nageurs apparentés aux nautiles, seiches et calmars actuels. Munies d’une coquille externe, elles disparaissent des océans du globe en même temps que les dinosaures, il y a 65 millions d’années, après avoir été un élément majeur des faunes marines durant près de 400 millions d’années.

(5) Voir en complément Brayard et al. 2009. Science 235 : 1118-1121.

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