séminaire du pôle évolution du vivant – vendredi 25 mars 2011
Évolution et développement des coquilles de mollusques : dynamique de croissance et patrons de variation micro et macroévolutifs
Séverine Urdy, Paläontologisches Institut der Universität Zürich
vendredi 25 mars 2011, à 11 heures, dans l’amphithéâtre Monge
Résumé
Les modèles morphogénétiques sont nécessaires pour répondre à un certain nombre de questions à l’interface entre le développement et l’évolution (« évo-dévo ») : comment émerge la diversité morphologique au cours des temps évolutifs et quels sont les facteurs de développement qui la contrôlent ?
Les travaux de D’Arcy Thompson ont inspiré une approche de l’évo-dévo qui consiste à mettre en évidence les règles de développement qui génèrent et contraignent la variation, aussi bien au niveau du développement individuel, qu’au niveau intra-spécifique dans des populations et qu’au niveau de la diversification dans les lignées (niveaux micro- et macro-évolutifs).
Les mollusques possèdent un certain nombre d’avantages dans ce contexte : ils ont un excellent enregistrement fossile et leur croissance accrétionnaire permet d’étudier l’ontogénèse de leur coquille. La forme des incréments de croissance déposés successivement au cours du développement est équivalente à la forme prise par le bord du manteau, le tissu mou et élastique qui secrète la coquille.
Du fait de la morphologie spirale des coquilles de mollusques, de nombreux modèles ont été proposés depuis le 19e siècle. Après les modèles géométriques simples, des modèles de croissance ont progressivement vu le jour, basés sur des hypothèses de plus en plus réalistes : 1. absence d’axe d’enroulement ; 2. croissance discrète ; 3. prise en compte de la dimension temporelle des phénomènes de croissance. J’ai proposé le premier modèle rassemblant ces trois conditions. Au lieu de se baser sur un modèle de croissance logarithmique, comme dans les modèles précédents, ce nouveau modèle suppose des règles simples d’arrangement et de mise à l’échelle des incréments de croissance successifs. Ce modèle illustre le rôle de la variation du taux de croissance dans la production d’allométries non-linéaires et de la plasticité phénotypique.
Les caractères taxonomiques présents sur les coquilles de mollusques tendent généralement à covarier aussi bien au sein des séquences ontogénétiques qu’entre individus de la même espèce, démontrant une grande intégration développementale. Pour étudier cette question, j’ai élevé en aquarium une population d’escargots marins (Muricidae). J’ai étudié les patrons de covariation entre les caractères de la coquille et la dynamique de croissance, aux niveaux ontogénétique et intra-spécifique. Cette étude montre que le rythme de croissance (intensité et fréquence des pulses de croissance) covarie avec l’espacement des arrêts de croissance, l’intensité de l’ornementation et l’allométrie de l’ouverture : les spécimens utilisant un mode de croissance quasi-continu (pulses de faible intensité et haute fréquence) construisent des arrêts de croissance assez proches les uns des autres ; leur coquille ne présente qu’une faible ornementation, tandis que l’ouverture grandit de façon quasi isométrique. Une version modifiée de mon modèle de croissance permet de reproduire ces patrons de variation, faisant l’hypothèse que seul le rythme de croissance est variable d’un spécimen à l’autre (figure). Il semble très probable que certains patrons similaires observés de façon récurrente chez des espèces d’ammonites phylogénétiquement éloignées (« loi de Buckman ») puissent résulter aussi de la variation sous-jacente du rythme de croissance, un paramètre qui semble être aussi bien sous l’influence de la génétique que des conditions environnementales.
- extrait:
- lien_externe:
- titre:
- Évolution et développement des coquilles de mollusques : dynamique de croissance et patrons de variation micro et macroévolutifs
- intervenant:
- Séverine Urdy
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- vendredi 25 mars 2011
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Évolution et développement des coquilles de mollusques : dynamique de croissance et patrons de variation micro et macroévolutifs
Séverine Urdy, Paläontologisches Institut der Universität Zürich
vendredi 25 mars 2011, à 11 heures, dans l'amphithéâtre Monge
Résumé
Les modèles morphogénétiques sont nécessaires pour répondre à un certain nombre de questions à l’interface entre le développement et l’évolution (« évo-dévo ») : comment émerge la diversité morphologique au cours des temps évolutifs et quels sont les facteurs de développement qui la contrôlent ?
Les travaux de D’Arcy Thompson ont inspiré une approche de l’évo-dévo qui consiste à mettre en évidence les règles de développement qui génèrent et contraignent la variation, aussi bien au niveau du développement individuel, qu’au niveau intra-spécifique dans des populations et qu’au niveau de la diversification dans les lignées (niveaux micro- et macro-évolutifs).
Les mollusques possèdent un certain nombre d’avantages dans ce contexte : ils ont un excellent enregistrement fossile et leur croissance accrétionnaire permet d’étudier l’ontogénèse de leur coquille. La forme des incréments de croissance déposés successivement au cours du développement est équivalente à la forme prise par le bord du manteau, le tissu mou et élastique qui secrète la coquille.
Du fait de la morphologie spirale des coquilles de mollusques, de nombreux modèles ont été proposés depuis le 19e siècle. Après les modèles géométriques simples, des modèles de croissance ont progressivement vu le jour, basés sur des hypothèses de plus en plus réalistes : 1. absence d’axe d’enroulement ; 2. croissance discrète ; 3. prise en compte de la dimension temporelle des phénomènes de croissance. J’ai proposé le premier modèle rassemblant ces trois conditions. Au lieu de se baser sur un modèle de croissance logarithmique, comme dans les modèles précédents, ce nouveau modèle suppose des règles simples d’arrangement et de mise à l’échelle des incréments de croissance successifs. Ce modèle illustre le rôle de la variation du taux de croissance dans la production d’allométries non-linéaires et de la plasticité phénotypique.Les caractères taxonomiques présents sur les coquilles de mollusques tendent généralement à covarier aussi bien au sein des séquences ontogénétiques qu’entre individus de la même espèce, démontrant une grande intégration développementale. Pour étudier cette question, j’ai élevé en aquarium une population d’escargots marins (Muricidae). J’ai étudié les patrons de covariation entre les caractères de la coquille et la dynamique de croissance, aux niveaux ontogénétique et intra-spécifique. Cette étude montre que le rythme de croissance (intensité et fréquence des pulses de croissance) covarie avec l’espacement des arrêts de croissance, l’intensité de l’ornementation et l’allométrie de l’ouverture : les spécimens utilisant un mode de croissance quasi-continu (pulses de faible intensité et haute fréquence) construisent des arrêts de croissance assez proches les uns des autres ; leur coquille ne présente qu’une faible ornementation, tandis que l’ouverture grandit de façon quasi isométrique. Une version modifiée de mon modèle de croissance permet de reproduire ces patrons de variation, faisant l’hypothèse que seul le rythme de croissance est variable d’un spécimen à l’autre (figure). Il semble très probable que certains patrons similaires observés de façon récurrente chez des espèces d’ammonites phylogénétiquement éloignées (« loi de Buckman ») puissent résulter aussi de la variation sous-jacente du rythme de croissance, un paramètre qui semble être aussi bien sous l’influence de la génétique que des conditions environnementales.