séminaire du pôle évolution du vivant – vendredi 16 mai
Les relations homme sapiens / homme de Néandertal : ce qu’en dit l’ADN
Ludovic Orlando, UMR 5242 du CNRS, INRA, UCB Lyon 1 – école normale supérieure de Lyon
vendredi 16 mai 2008 à 11 heures, amphi Monge, bâtiment Gabriel
L’homme de Néandertal, dont on a fêté il y a deux ans, le cent-cinquantième anniversaire de la découverte, ne repose plus en paix. Car ses ossements fossilisés contiennent encore de l’ADN si bien qu’on peut aujourd’hui en analyser la séquence. Une chance si l’on se rappelle que cet homme disparu depuis 28000 ans est notre plus proche parent. Ainsi, toute différence entre ses gènes et les nôtres nous donne l’opportunité de démasquer les raisons génétiques de nos différences. Aussi, le séquençage de la totalité de son génome a-t-il été entrepris dès l’année dernière et promet d’être achevé dans l’année. Mais pour l’heure, ce n’est pas encore son génome qui défraye la chronique mais plutôt deux types tout particuliers de séquences.
Premier type de séquence : l’ADN mitochondrial. Depuis 1997 en effet, les méthodes d’analyse de l’ADN fossile ont permis de déchiffrer une courte région hypervariable chez une douzaine de spécimens Néandertaliens. Et ces séquences ne semblent trouver aucun équivalent parmi nos contemporains, qu’ils soient européens, africains, amérindiens ou asiatiques. Ainsi, si l’on s’en remet à ce seul gène, il n’y a guère de trace du supposé métissage qui aurait eu lieu au moment où nous cohabitions en Europe avec les Néandertaliens. Autre surprise pour ces hommes fossiles que l’on pensait confinés dans les territoires de l’Europe et du Proche-Orient : ils avaient en fait atteint la Sibérie (comme l’a montré l’analyse génétique d’un spécimen provenant des montagnes de l’Altaï) ! Aussi est-on aujourd’hui forcé d’étendre de plusieurs milliers de kilomètres le terrain de jeu des Néandertaliens.
Quant au second type de séquence, il s’agit cette fois d’un gène porté par l’un de nos chromosomes. Son nom, FOX-P2. Popularisé à tort comme le gène du langage, ce dernier fait partie des cinq gènes les plus conservés entre les mammifères. Là où ce gène est intéressant, c’est que son inactivation entraîne des déficiences dans l’acquisition du langage et l’articulation des mots. De plus, notre séquence diffère de celle des autres mammifères par deux mutations particulières. Un des scénarios en vogue – mais à forte valeur polémique ajoutée – voit précisément dans ces deux mutations l’origine de nos formidables capacités linguistiques. Leur apparition remonterait donc à l’origine même de notre espèce. Selon toute logique, Néandertal ne devait pas porter ces deux mutations. Et pourtant, qu’a révélé le génotypage de deux individus qui vivaient dans les territoires de l’actuelle Asturie il y a 43000 ans ? Qu’ils portaient tous deux les dites mutations ! De deux choses l’une : ou bien cela signifie que Néandertal était lui aussi doué de formidables capacités linguistiques ; ou bien, plus prosaïquement, cela signifie que FOX-P2 n’est pas le gène du langage que l’on croit. Comme quoi, l’ADN fut-il d’hommes disparus peut directement nous aider à cerner les hommes que nous sommes…
Ludovic Orlando
http://igfl.ens-lyon.fr/les-equipes/equipe-4/index_html/ – Ludovic.Orlando@ens-lyon.fr