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article d’Arnaud Brayard et Emmanuelle Vennin publié dans Nature Geoscience

Etiquette(s) : articles et presse

 

Extinctions et diversifications après la plus grande crise biologique de tous les temps : les récifs ont leur mot à dire !

Il y a 252,6 millions d’années, la Terre traversait la plus grande extinction de masse jamais enregistrée : la crise permo-triasique(1). Plus de 90 % des espèces existant alors disparaissent brutalement, notamment dans les océans, laissant une biosphère dévastée qui mettra 10 à 30 millions d’années avant de récupérer une biodiversité comparable à celle d’avant la crise.

À l’appui de ce scénario-catastrophe d’écocide global(2), de nombreux enregistrements sédimentaires et géochimiques attestent de perturbations environnementales majeures durant l’ensemble du Trias inférieur (les cinq millions d’années qui suivent l’extinction de masse) : cycle du carbone anormal, océan mondial acide et euxinique(3). Ainsi, bien qu’abondants avant la crise, puis plus tard durant le Mésozoïque, les havres de diversité marine que sont les récifs disparaissent durant tout le Trias inférieur. À leur place se développent des dépôts massifs de carbonates d’origine exclusivement microbienne appelés microbialites, témoins d’écosystèmes dépourvus d’organismes multicellulaires. Tel est, du moins, le consensus auquel la communauté scientifique était arrivée ces dernières années, suite à près d’un demi-siècle de recherches intensives sur ce sujet.

En 2009, un groupe franco-suisse de paléontologues impliquant le CNRS et les universités de Dijon, Lyon 1 et Zurich, remettait en cause ce scénario de « rediversification lente et retardée » en montrant que suite à l’extinction de masse permo-triasique, la diversité d’au moins un groupe d’animaux marins, les ammonites, ré-augmentait 10 à 30 fois plus rapidement que ce qu’on estimait jusqu’à présent(4). Aujourd’hui, le même groupe de chercheurs montre la réapparition rapide à l’échelle des temps géologiques, soit 1 à 2 millions d’années après la fin de l’extinction de masse, de récifs à métazoaires (animaux multicellulaires). Ces travaux sont publiés dans le numéro d’octobre de la revue Nature Geoscience.

Pour arriver à ce résultat, plusieurs années d’exploration méthodique des vallées du sud-ouest des États-Unis (Utah, Névada et Californie) ont été nécessaires. De ces observations systématiques de terrain, doublées d’une étude microscopique de centaines d’échantillons ramenés en laboratoire, une double évidence s’impose :

(i)    à plusieurs endroits et à plusieurs moments durant le Trias inférieur, des récifs formés par l’association de microbes et d’éponges de morphologies et de tailles variées (photo ci-contre), se sont développés ;

(ii)    ces récifs abritaient une faune diversifiée comprenant, entre autres, des foraminifères, des serpules, des gastéropodes, des bivalves, des ammonites, des ostracodes, des brachiopodes, des échinodermes et des conodontes.

La surprise est grande : les conditions euxiniques(3) prévalant à l’interface eau-sédiment, l’absence d’écosystèmes récifaux diversifiés en métazoaires durant le Trias inférieur semblait parfaitement logique. Une fois de plus, les faits contredisent un modèle basé avant tout sur l’absence d’observations(5).

Le rétablissement rapide de récifs à métazoaires diversifiés dès le début du Trias inférieur, relance une nouvelle fois le débat lié aux rythmes et modalités de la rediversification biologique consécutive à la crise permo-triasique. Les uns après les autres, plusieurs paradigmes tombent, illustrant l’étendue du travail qui reste à accomplir. Si on comprend aujourd’hui de mieux en mieux comment se déclenche une extinction de masse, la façon et la vitesse à laquelle la biosphère récupère et se rediversifie après une telle crise demeure toujours mal comprise. À l’évidence, et alors que nous engageons vraisemblablement notre planète dans sa sixième grande crise d’extinction, ces résultats rappellent que le rétablissement d’écosystèmes diversifiés suite à une extinction de masse est un processus très long, courant au minimum sur plusieurs dizaines de milliers de générations humaines.

Ce travail a bénéficié du soutien financier du CNRS (AO INSU-Interrvie), de la fédération pour la recherche sur la biodiversité (FRB, AO blanc 2009), de la région Bourgogne et du fonds national suisse.

 

Notes :

(1) du nom des deux périodes géologiques qui l’encadrent, le Permien (299 – 252,6 M.a.) et le Trias (252,6 – 201,6 M.a.), cette crise marque la fin de l’ère Primaire, ou Paléozoïque, et le début de l’ère Secondaire, ou Mésozoïque. Elle est probablement liée à une intense activité volcanique (trapps) en Chine et en Sibérie.

(2) néologisme intégré aux versions 2012 des dictionnaires Robert et Larousse, un écocide (construit à partir d’écosystème et de génocide) est la destruction (quelle qu’en soit la cause, naturelle ou anthropique) systématique et totale d’un écosystème.

(3) un environnement euxinique (du nom antique de la Mer noire, le Pont-Euxin, où ces conditions hostiles à la vie sont rencontrées de nos jours) est un environnement appauvri en oxygène et enrichi en gaz carbonique et en sulfures.

(4) Voir Brayard et al. (2009 – Science, 235 : 1118-1121) et le communiqué de presse associé.

(5) En complément, voir Brayard et al. (2010 – Geology, 38 : 147-150)  et le communiqué de presse associé.

 

Référence :

Transient metazoan reefs in the aftermath of the end-Permian mass extinction.
Brayard A., Vennin E., Olivier N., Bylund K.G., Jenks J., Stephen D.A., Bucher H., Hofmann R., Goudemand N., Escarguel G.

Paru en ligne dans Nature Geoscience le 18 septembre 2011.
Publié dans Nature Geoscience, vol. 4, n° 10 (octobre 2011).

 

Contacts chercheurs :

Arnaud Brayard, laboratoire Biogéosciences
Gilles Escarguel, université Lyon 1, Villeurbanne

 
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Extinctions et diversifications après la plus grande crise biologique de tous les temps : les récifs ont leur mot à dire !

Il y a 252,6 millions d’années, la Terre traversait la plus grande extinction de masse jamais enregistrée : la crise permo-triasique(1). Plus de 90 % des espèces existant alors disparaissent brutalement, notamment dans les océans, laissant une biosphère dévastée qui mettra 10 à 30 millions d’années avant de récupérer une biodiversité comparable à celle d’avant la crise.

À l’appui de ce scénario-catastrophe d’écocide global(2), de nombreux enregistrements sédimentaires et géochimiques attestent de perturbations environnementales majeures durant l’ensemble du Trias inférieur (les cinq millions d’années qui suivent l’extinction de masse) : cycle du carbone anormal, océan mondial acide et euxinique(3). Ainsi, bien qu’abondants avant la crise, puis plus tard durant le Mésozoïque, les havres de diversité marine que sont les récifs disparaissent durant tout le Trias inférieur. À leur place se développent des dépôts massifs de carbonates d’origine exclusivement microbienne appelés microbialites, témoins d’écosystèmes dépourvus d’organismes multicellulaires. Tel est, du moins, le consensus auquel la communauté scientifique était arrivée ces dernières années, suite à près d’un demi-siècle de recherches intensives sur ce sujet.


En 2009, un groupe franco-suisse de paléontologues impliquant le CNRS et les universités de Dijon, Lyon 1 et Zurich, remettait en cause ce scénario de « rediversification lente et retardée » en montrant que suite à l’extinction de masse permo-triasique, la diversité d’au moins un groupe d’animaux marins, les ammonites, ré-augmentait 10 à 30 fois plus rapidement que ce qu’on estimait jusqu’à présent(4). Aujourd’hui, le même groupe de chercheurs montre la réapparition rapide à l’échelle des temps géologiques, soit 1 à 2 millions d’années après la fin de l’extinction de masse, de récifs à métazoaires (animaux multicellulaires). Ces travaux sont publiés dans le numéro d’octobre de la revue Nature Geoscience.


Pour arriver à ce résultat, plusieurs années d’exploration méthodique des vallées du sud-ouest des États-Unis (Utah, Névada et Californie) ont été nécessaires. De ces observations systématiques de terrain, doublées d’une étude microscopique de centaines d’échantillons ramenés en laboratoire, une double évidence s’impose :

(i)    à plusieurs endroits et à plusieurs moments durant le Trias inférieur, des récifs formés par l’association de microbes et d’éponges de morphologies et de tailles variées (photo ci-contre), se sont développés ;

(ii)    ces récifs abritaient une faune diversifiée comprenant, entre autres, des foraminifères, des serpules, des gastéropodes, des bivalves, des ammonites, des ostracodes, des brachiopodes, des échinodermes et des conodontes.

La surprise est grande : les conditions euxiniques(3) prévalant à l’interface eau-sédiment, l’absence d’écosystèmes récifaux diversifiés en métazoaires durant le Trias inférieur semblait parfaitement logique. Une fois de plus, les faits contredisent un modèle basé avant tout sur l’absence d’observations(5).


Le rétablissement rapide de récifs à métazoaires diversifiés dès le début du Trias inférieur, relance une nouvelle fois le débat lié aux rythmes et modalités de la rediversification biologique consécutive à la crise permo-triasique. Les uns après les autres, plusieurs paradigmes tombent, illustrant l’étendue du travail qui reste à accomplir. Si on comprend aujourd’hui de mieux en mieux comment se déclenche une extinction de masse, la façon et la vitesse à laquelle la biosphère récupère et se rediversifie après une telle crise demeure toujours mal comprise. À l’évidence, et alors que nous engageons vraisemblablement notre planète dans sa sixième grande crise d’extinction, ces résultats rappellent que le rétablissement d’écosystèmes diversifiés suite à une extinction de masse est un processus très long, courant au minimum sur plusieurs dizaines de milliers de générations humaines.

Ce travail a bénéficié du soutien financier du CNRS (AO INSU-Interrvie), de la fédération pour la recherche sur la biodiversité (FRB, AO blanc 2009), de la région Bourgogne et du fonds national suisse.

Notes :

(1) du nom des deux périodes géologiques qui l’encadrent, le Permien (299 – 252,6 M.a.) et le Trias (252,6 – 201,6 M.a.), cette crise marque la fin de l’ère Primaire, ou Paléozoïque, et le début de l’ère Secondaire, ou Mésozoïque. Elle est probablement liée à une intense activité volcanique (trapps) en Chine et en Sibérie.


(2) néologisme intégré aux versions 2012 des dictionnaires Robert et Larousse, un écocide (construit à partir d’écosystème et de génocide) est la destruction (quelle qu’en soit la cause, naturelle ou anthropique) systématique et totale d’un écosystème.


(3) un environnement euxinique (du nom antique de la Mer noire, le Pont-Euxin, où ces conditions hostiles à la vie sont rencontrées de nos jours) est un environnement appauvri en oxygène et enrichi en gaz carbonique et en sulfures.


(4) Voir Brayard et al. (2009 - Science, 235 : 1118-1121) et le communiqué de presse associé.


(5) En complément, voir Brayard et al. (2010 - Geology, 38 : 147-150)  et le communiqué de presse associé.

Référence :

Transient metazoan reefs in the aftermath of the end-Permian mass extinction.
Brayard A., Vennin E., Olivier N., Bylund K.G., Jenks J., Stephen D.A., Bucher H., Hofmann R., Goudemand N., Escarguel G.

Paru en ligne dans Nature Geoscience le 18 septembre 2011.
Publié dans Nature Geoscience, vol. 4, n° 10 (octobre 2011).

Contacts chercheurs :

Arnaud Brayard, laboratoire Biogéosciences
Gilles Escarguel, université Lyon 1, Villeurbanne

 

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